Le prétexte Guillot

Dans le dernier coq-à-l’âne du XVI^e siècle, probablement écrit à la fin de l’année 1594 et recueilli dans un des manuscrits Conrart de la Bibliothèque nationale de France, l’auteur s’adresse à un certain Guillot pour lui demander des nouvelles de la Cour.

(Ms. 4115, BnF, Gallica)

Le quatrain liminaire se détache nettement de la suite de la pièce pour signifier, après cet exorde, le réveil et la prise de parole dudit Guillot. Le dispositif dialogique est confirmé par le dernier vers où le second locuteur revient vers son auditoire :

A Dieu vous dis jusqu'au retour (v. 228)

Le procédé n’est pas nouveau, mais rare. Le cas précédent date de 1537 et se trouve dans l’ “Autre epistre du coq à l’asne continuant les nouvelles”, récemment mise en lumière par Guillaume Berthon et Raphaël Cappellen [1]. Le discours en forme de coq-à-l’âne du vieillard y est enchâssé dans le récit du voyageur.

Du porcher au menteur, en passant par le songeur

La figure de Guillot est récurrente dans les écrits de combat de la seconde moitié du siècle. Il est notamment le porcher qui vient chercher les pourceaux hérétiques à Genève pour les exécuter dans le pamphlet d’Artus Désiré, Les disputes de Guillot le porcher et de la Bergère de S. Denis en France contre Jehan Calvin prédicant de Genesve. Sur la vérité de nostre saincte foy catholicque et religion chrestienne, Paris, 1559.

(Numérisation Google)

Dix ans plus tard, il sert aussi à accabler le Prince de Condé en l’accusant de vouloir s’emparer de la couronne de France dans un autre libelle parfois attribué à Artus Désiré, encore lui : La Grande trahison & volerie du Roy Guillot Prince & Seigneur de tous les larrons bandolliers, sacrileges, voleurs & brigans du Royaume de France, s.l.n.d., réimprimée en 1569 et 1570.

(La Grande trahison & volerie du Roy Guillot Prince & Seigneur de tous les larrons bandolliers, sacrileges, voleurs & brigans du Royaume de France, BnF, Gallica)

Enfin et surtout, il est la figure centrale d’une gravure satirique et anonyme des années 1560 sous les traits de Guillot le Songeur. Les commentaires qui ont accompagné la gravure assimilent le personnage endormi au pied de l’arbre du royaume de France à Antoine de Bourbon, davantage préoccupé par ses aventureuses amoureuses que par la division du royaume.

(L’Arbre de Guillot le Songeur (détail), BnF, coll. Hennin)

Hugues Daussy [2] en trouve le modèle en Guilán le Pensif dans l’Amadis de Gaule, tombé de cheval alors qu’il pensait à sa dame. Sa distraction est même devenue proverbiale : on dit bien —au moins depuis Rabelais— “être logé chez Guillot le songeur”.

Notre coq-à-l’âne, fidèle en cela à une poétique de l’implicite, se contente de l’allusion, sans jamais développer la référence. Le nom sert d’appel, attire l’attention par sa familiarité pour inscrire dès son ouverture le poème dans un réseau de références. L’évocation prime sur l’identité du destinataire.
Pour autant, une fois réveillé, Guillot se montre particulièrement bien renseigné et remplit son rôle de commentateur alerte :

Sang guy ce grand Duc d’Espernon
A qui ne restoit que le nom
Qu’il ne fust un des Roys de France
Si faut il faire difference
Entre le maistre et le vallet
Entre l’Evesque et le mullet
Cousins Germains en asnerie
Impossible est que l’on n’en rie
Du Triquetrac des Courtisans (v. 23-31)

Marque distinctive des coq-à-l’âne de la période de la Ligue, l’empan chronologique des allusions se resserre sur les derniers événements, en l’occurrence les derniers mois, alors que les coq-à-l’âne des périodes précédentes peuvent renvoyer à des éléments anciens.

Notre mystérieux Guillot, finalement éveillé et critique, sert bel et bien de pré-texte à l’auteur pour réagir par la plume au désordre du moment.

[1]: Letres des ysles et terres nouvellement trouvées par les Portugalois, Genève, Droz, 2021, p. 25 et s.

[2] : Le parti huguenot, chronique d’une désillusion (1557-1572), Genève, Droz, 2014, p. 197 et s.